
Ce sont de lourds secrets qui entourent la mort du chanteur Quentin Bosco, assassiné peu avant le tout premier concert de sa tournée mondiale. Au moment du drame, Thomas Bielefeld, un écrivain sans envergure, préparait un livre consacré à l’artiste. Son enquête lui révélera ces lourds secrets, qu’il lui sera difficile de rendre public.
Dans Au désarroi et au sang, Thierry Tuborg mêle plus que jamais la fiction à la réalité et à l’autobiographie.

Au désarroi et au sang – Thierry Tuborg
Editions Le Cercle Séborrhéique – 2012 – ISBN : 978-2-9521790-4-2 210 pages – 15 € – Livraison gratuite PAYEZ AVEC PAYPAL CI-DESSOUS ou rendez-vous en page contact pour payer par chèque
15,00 €
EXTRAIT :
— J’ai rencontré Quentin dans une soirée il y a une dizaine d’années, me raconta Maud. C’est d’ailleurs au cours de cette même soirée qu’il a fait la connaissance de son manager, Mathias Bourboulon…
On frappa à la porte de la loge. Une reporter radio passa la tête, elle cherchait à obtenir quelques mots de Quentin Bosco afin d’annoncer l’événement sur les ondes. Nous nous débarrassâmes d’elle en affirmant que le chanteur ne se trouvait pas dans la place, et reprîmes notre conversation.
— Je ne pense pas que tu connaisses les circonstances si particulières de la naissance de Quentin, au début des années soixante-dix.
— Je n’ai lu aucune de ses biographies.
— Ça ne figure nulle part.
Maud me scruta en silence quelques secondes d’affilée, puis entama son récit. Trois heures avant que la mère n’accouche, celle-ci tirait une balle dans la tête du père avant de retourner l’arme contre elle. Les forces de l’ordre arrivèrent très vite sur les lieux, ainsi que les secours, qui parvinrent à maintenir la forcenée en vie mais inconsciente, jusqu’à l’accouchement par césarienne. À peine Quentin Bosco était-il né que sa mère succombait. Orphelin absolu dès la naissance, pupille de l’État, l’enfant d’outre-tombe fut placé en institution, puis en familles d’accueil, sans la moindre mémoire filiale ou familiale.
— Au départ, ajouta Maud, il a eu le sentiment que c’était pareil pour tous, que chacun arrivait là comme ça, un peu largué et seul au Monde. Puis, au cœur de l’enfance, il a fini par prendre conscience qu’il y avait quelque chose de singulier dans sa propre situation. Il allait devoir s’en sortir en ne s’en remettant qu’à lui-même.
— Comment se fait-il qu’aucun biographe n’ait jamais mentionné cette anecdote ?
— Parce que Quentin est un homme extrêmement pudique, il n’a jamais raconté cette histoire à un seul journaliste. Pour se livrer à ce point, ça nécessite une relation telle que la nôtre.
Maud continua de me parler du chanteur. Travaillant elle-même dans l’édition, elle devait se douter que tout ce qu’elle m’apprenait se retrouverait dans le livre que j’étais supposé préparer.
Dès ses quinze ans, Quentin Bosco tenait la guitare d’un improbable groupe de lycéens, le futur Oslo, qui se fera connaître du grand public grâce à son second single « Poor Little Rich Girl », couplets en français, refrain en anglais.
Ce qu’il y avait toujours eu de particulier au groupe Oslo, c’était que le succès commercial n’était jamais parvenu à les décrédibiliser au sein de la scène alternative française. Ils avaient de ces titres purement rock’n’roll, comme par exemple « Lemmy Kilmister killed me », souvent repris ici et là par des groupes plus ou moins locaux.
Au retour d’une longue et triomphale tournée aux États-Unis et au Canada, le chanteur originel du groupe trouva la mort dans un accident de spéléologie, activité qu’il pratiquait en passionné depuis l’adolescence. La question de la dissolution du groupe fut une première fois posée, mais finalement Quentin Bosco assura le lead vocal en plus de la guitare.
Un nouvel album studio parut. Il fut jugé décevant. Le charme était rompu, principalement à cause de la mort brutale du chanteur, que Quentin ne parvenait pas à faire oublier, mais aussi du fait de la lassitude des autres membres du groupe.
Alors même que sortait enfin le DVD de leur interminable tournée en Amérique du Nord, DVD qui avait nécessité plus d’un an de postproduction, Oslo avait décidé de se saborder, sans tambour ni trompette.
— C’est donc à cette époque que je fis sa connaissance, me répéta Maud. Il tutoyait la trentaine. Il était profondément déprimé, incapable de se remettre à composer.
— J’ignore jusqu’à quel point sa rencontre avec Mathias Bourboulon à ce moment a été déterminante, dis-je, mais je sais que Mathias était déjà un manager excessivement ambitieux. Il s’était d’ailleurs très vite désintéressé de mon groupe en raison de notre dilettantisme crasse.
— En tout cas, à un peu plus d’une année de la fin du groupe, Bourboulon était parvenu à le plonger à nouveau dans un processus créatif. Puis un beau soir, il obtint que Quentin lui confie un enregistrement fait maison…
— Je me souviens que Mathias m’avait parlé de cette bande, interrompis-je. Il m’avait indiqué à l’époque qu’il ne comprenait pas bien : « Quentin Bosco s’est mis à la techno ! Il a carrément enregistré une bande techno ! C’est n’importe quoi ! »
Maud sourit, puis hocha la tête.
— Je peux t’affirmer que dans l’esprit de Quentin, il ne s’agissait guère que d’une maquette un peu chtarbée qu’il avait réalisée comme une thérapie à sa dépression. Mais Mathias Bourboulon était déjà dans les starting-blocks. Il a épuré la bande de tous les habillages électro, puis a donné les quinze titres à mixer et masteriser quelque part dans Paris, sous la direction du fameux Xavier Talence.
— Bosco ne s’y est-il pas opposé ? N’avait-il pas son mot à dire ?
— Tu oublies qu’il marchait complètement à côté de ses pompes, à ce moment-là. Quoi qu’il en soit, tu connais la suite. Quelques mois plus tard sortait le premier album solo de Quentin Bosco, intitulé Cold Line, ainsi que le 45 tours dont je t’ai déjà parlé. Le producteur Xavier Talence ne s’attendait pas à écouler plus d’une dizaine de milliers d’exemplaires de l’album, passer le cap des cent mille lui paraissait tout à fait inconcevable, or le succès fut immédiat et le disque dépassa les trois millions d’exemplaires vendus.
— Peut-on parler de destinée, ou bien de pur hasard ? En tout cas c’est hallucinant comment une modeste maquette que Quentin Bosco avait enregistrée dans un but thérapeutique, tout seul dans son coin, est devenue l’une des meilleures ventes d’albums en France, puis un succès international.
— C’est ainsi que Quentin s’est retrouvé lié à Mathias Bourboulon et Xavier Talence. Ils l’avaient sorti de sa dépression. Grâce à eux, il renouait avec le succès, repartait sur les routes et remplissait les salles.
Je me levai et ouvris le réfrigérateur. Des bières onéreuses en pagaille me faisaient de l’œil. J’hésitai, mais attrapai une petite bouteille de Perrier.
— Tu veux quelque chose ? demandai-je à Maud, qui secoua la tête négativement.
Ce que je ne parvenais toujours pas à comprendre, c’était l’arrivée du guitariste Walter Ego dans le line-up, l’année précédente. Quentin Bosco ne jouait plus du tout, il se contentait de chanter. Il était pourtant guitariste, à l’origine.
Maud n’eut pas le temps de m’en apprendre davantage.