
On retrouve sur une scène de crime l’exact modus operandi de trois autres assassinats pour lesquels un psychopathe a déjà été jugé. La signature de ces précédents crimes n’avait jamais été révélée. Sauf que le meurtrier vient de dicter ses Mémoires depuis sa prison pour un livre sur le point de paraître. Livre qui va beaucoup intéresser les enquêteurs. Le biographe du tueur aurait-il imité le sujet de son livre ?

Lucas D’Amour-Léger – Thierry Tuborg
Les Editions Relatives – 2014 – ISBN : 978-2-9521790-5-8 238 pages – 16 € + 4 € participation livraison PAYEZ AVEC PAYPAL CI-DESSOUS ou rendez-vous en page contact pour payer par chèque
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EXTRAIT :
— Voilà ce que nous a indiqué votre éditeur au téléphone ce matin, conclut le commandant Istropoulos. C’est ce qu’il nous a dit. Nous l’avons gardé en ligne le temps de faire crépiter nos claviers d’ordinateur jusqu’à ce que nous constations, en effet, que l’assassinat de cette nuit était la copie conforme de ceux de Lucas D’Amour-Léger, six années en arrière. Nous avons donc invité monsieur Louisiane à venir nous rejoindre afin d’éclaircir cette histoire de livre.
— Mon livre.
— Votre livre. Il affirme que ça n’est même pas encore imprimé, et qu’il n’y a guère que lui à l’avoir lu et vous à l’avoir rédigé.
— Quoi ? Il n’est pas encore imprimé ? Putain mais il paraît dans trois semaines !
Istropoulos le toise un moment en silence. Ce type semble davantage préoccupé par la parution de son foutu bouquin que par l’assassinat de la pauvre gamine. Se rend-il seulement compte qu’il est impliqué dans cette affaire ?
— Votre éditeur est tout à fait dans les temps, nous a-t-il dit, compte tenu de l’absence de service de presse. Ça devait partir à la fabrication en fin de semaine. Ça devait, parce qu’à présent, bien sûr, je serais surpris que l’autorité judiciaire laisse ce livre sortir en librairie.
— C’est pas vrai ! Dites-moi que je rêve ! À présent je comprends mieux pourquoi je n’avais toujours pas reçu les épreuves.
— Oui, non, mais pardonnez-moi, le problème n’est pas là, monsieur Nash. Vous vous rendez bien compte que la signature de Lucas D’Amour-Léger n’est connue à ce jour que de ce malade, de votre éditeur, et de vous.
— Et ce malade croupit en taule, murmure Emmanuel en plissant les yeux.
Il demeure pensif un petit moment.
— Guy Louisiane, mon éditeur, serait le copycat de Lucas D’Amour-Léger ? grimace-t-il à l’officier de police.
— Il nous a fourni un alibi, il a passé toute la soirée en compagnie d’un libraire de ses connaissances. Et puis pourquoi se serait-il mis aussitôt en relation avec nous ?
Nash commence à sentir des gouttelettes de sueur lui dégringoler le long du dos. Il scrute subitement Istropoulos, qui pour sa part n’a cessé de fixer son interlocuteur depuis le début de l’entretien.
— Monsieur Nash, voudriez-vous me détailler votre emploi du temps pour la période allant de dix-huit heures trente hier soir à trois heures ce matin ?
Il n’hésite pas bien longtemps.
— J’étais à la maison, bien sûr. Je suis resté tout le temps à la maison.
— Et qu’y avez-vous fait, précisément ? Est-ce que vous pouvez m’aider à établir une chronologie ?
— Je n’ai rien fait ! Enfin rien de particulier, j’ai fait les choses que je fais d’habitude… Je suis à l’ordinateur jusque vers les sept heures du soir, puis je prépare mon repas, je dîne, ensuite soit je regarde la télévision, soit je lis, soit je me remets au travail, soit un peu de tout ça en même temps. Vers minuit une heure, je me couche.
— Vous vivez seul ?
— Oui je vis seul, je suis écrivain, formule-t-il comme une évidence, sur le ton de l’agacement.
— Vous êtes âgé de cinquante-trois ans et vous vivez seul. Vous êtes divorcé ? Ou alors veuf ?
Emmanuel Nash cligne des yeux et s’agite sur son siège.
— Je… J’ai toujours vécu seul. Mais écoutez, qu’est-ce que… Dites, commandant, mon éditeur me mettrait-il en cause dans l’assassinat de cette nuit ?
Istropoulos, imperturbable, continue de le fixer.
— Essayez de vous remémorer chronologiquement ce que vous avez fait entre six heures et demie hier soir et trois heures ce matin. Vous avez écrit ? Vous êtes sur un nouveau livre ?
— On est tout le temps sur un nouveau livre, grommelle Nash.
— Un roman ? Une enquête ? Un document ?
— Un roman.
— Dites-moi de quoi il s’agit, quel en est le titre.
— Non mais sincèrement je ne vois pas bien le…
— Je vous le demande, monsieur Nash.
— Eh bien ça s’intitule Scandale chez Gallimard, un complot dans le monde de l’édition.
— Donc vous étiez à l’ordinateur sur la rédaction de votre nouveau roman jusqu’à environ sept heures du soir. Ensuite, vous préparez votre dîner. C’est bien cela ?
— J’imagine, oui, balbutie Nash de plus en plus ébranlé. Dites, vous ne prenez rien en note ?
— Ça n’est guère utile, cette audition est filmée. De quoi s’est composé votre dîner ?
— Quoi ? Mon dîner ? Merde alors, qu’est-ce que j’ai bien pu manger hier soir ?
— Tout de même, votre repas d’hier soir, un petit effort.
Nash réfléchit avec intensité.
— D’accord, d’accord. Je me suis poêlé une côte de porc accompagnée de petits pois extra-fins. Pas de fromage. Un Panier de Yoplait à la pêche. Je crois qu’on a fait le tour.
— À la pêche. Parfait. Votre repas terminé, vous avez regardé la télévision, vous avez lu, ou alors vous avez repris votre travail d’écriture à l’ordinateur ?
— Mais je n’en sais rien ! Je fais toujours un peu de tout cela en même temps, je vous dis !
— Quel livre êtes-vous en train de lire en ce moment, monsieur Nash ?
— Euh… Bon sang, quel livre je suis en train de lire… Ah ! La Vape, de Don Tracy, dans la Série noire, copyright 1961.
— Entendu. Donc vous avez un peu lu, un peu travaillé à l’ordinateur tout en regardant la télévision. C’était quoi, à la télévision, hier soir ?
— Putain j’en sais rien ! Je zappe tout le temps entre les chaînes d’information, des débats plus ou moins politiques, des vieux films, ou bien des séries US, ou encore Les Simpson… Qu’est-ce que j’en sais ? La plupart du temps je coupe même le son et je colle de la musique à la place, enfin pas pour Les Simpson. Hier il n’y avait pas Les Simpson, je peux l’affirmer.
Le flic soupire une discrète consternation.
— Matt Groening est un peu mon maître à penser, croit pourtant devoir ajouter Emmanuel Nash.
— Le football ? Vous suivez le sport ?
— Non, jamais. No sport !
— D’accord. Quels sont vos loisirs, alors ?
La question qui brûle les lèvres d’Istropoulos, c’est : « Quels sont vos fantasmes, monsieur Nash ? », mais il ne la lui posera pas. Pas comme ça. Ça n’est pas la façon dont il s’y prend. Personne ne répliquera jamais : « Eh bien voyez-vous commandant il se trouve que j’ai des fantasmes de type pédophilie, plus précisément éphébophilie. » Non, ce n’est pas comme cela que ça marche.
L’écrivain marque quant à lui un temps d’intense cogitation. Loisirs, loisirs, voyons voir un petit peu.
— Mes… Mes loisirs ? Je ne sais pas, vous voulez dire la musique, ce genre de trucs ?… À y réfléchir, mes loisirs c’est mon activité : écrire. Lire et écrire.
— Expliquez-moi un peu, est-ce que vous avez ce qu’on appelle une vie sociale ? Dans quoi est-ce que vous vous épanouissez, finalement ?
— Une vie sociale. Dans quoi est-ce que je m’épanouis, répète avec lenteur Emmanuel Nash, comme saisi d’une soudaine écholalie, les yeux dans le vide. Je ne sais pas trop, je m’épanouis dans mon travail, j’ai envie de dire. Pour ce que ça me rapporte, si en plus je n’aimais pas ça ! De temps en temps je bois des coups avec les copains, je traîne à droite à gauche, ici et là. Ça dépend des périodes. C’est plus animé lors de la parution d’un nouveau roman, évidemment, je ne…
— Très bien, interrompt le commandant de guerre lasse. Sur l’ordinateur, hier soir, est-ce que vous auriez laissé des traces horodatées, comme par exemple une activité Facebook ? Vous avez un compte Facebook ?
— Oui, j’ai ça. Mais la plupart du temps, je n’y laisse aucun statut, ni aucun commentaire. Je suis ce qu’on appelle un « lurker ». Je me contente de prendre connaissance de ce que les autres postent, et de « liker », ou pas. D’une manière générale, je ne suis pas celui qui reste scotché des heures sur Facebook. Il faut conserver un minimum de concentration si l’on veut avancer. Les livres ne s’écrivent pas tout seuls, vous savez.
— Je sais.
— Vous savez ?
— Je me doute bien… Votre activité informatique sera l’une des choses que nous vérifierons. On va devoir saisir votre ordinateur. Les petites mains de la police scientifique vont passer votre disque dur au peigne fin. Ça peut contribuer à établir votre alibi. Il va falloir que vous me remettiez aussi votre mobile…