Le Mur

         Le jeune soldat au service de la Matrie répondant au nom d’Alb 3, troisième fils d’Alba Irina Viga Luane, est très fier de se voir affecté au Mur en tant que sentinelle. Il défendra le territoire des Matrides contre les assauts des Bêtes.
         Mais, au cours de ce roman qui pose la question de notre humanité dans une société repliée sur elle-même, une rencontre va venir bouleverser ses certitudes, et Alb verra sa loyauté envers la Matrie s’effondrer, lorsque l’utopie se transformera en une inquiétante dystopie.

Le Mur – Marianne Peyronnet

Les Editions Relatives – 2023 – ISBN : 978-2-9572024-4-7 210 pages – 19 € + 4 € participation livraison PAYEZ AVEC PAYPAL CI-DESSOUS ou rendez-vous en page contact pour payer par chèque

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EXTRAIT :

         « Nous sommes l’utopie. Chacun une cellule du corps parfait de la Matrie. Chacun utile à son bon fonctionnement, indispensable par notre nombre et notre dévouement. Chacun à notre place, œuvrons à l’équilibre. Nous sommes l’écologie. Nous sommes la nature. Nous n’abusons pas de ses richesses. Nous sommes la sobriété. Notre vie ne compte que comme partie du tout. Nous en faisons don à l’ensemble, de notre premier cri à notre dernier soupir. »

            Enfin, de l’action !
            Mar a déclenché l’alerte. Pour notre treizième jour, nous allons combattre. Armés de nos fusils, nous grimpons, Syl et moi, en haut du mirador. L’excitation fait trembler mes membres durant l’ascension. Je retrouve tous les réflexes acquis lors des entraînements. Je ne pense plus. Une marche de l’escalier de bois après l’autre. Vite. Plus vite.
            Nos deux camarades sont déjà en place quand nous prenons nos positions. Ils observent la Brute qui s’avance à quelques mètres de la tour. Je n’en avais jamais examinée de si près. Vue d’en haut, elle n’est pas terrifiante, même si sa tête hirsute est assez répugnante. Son aspect général a de quoi dégoûter. Sale, velue, à la peau sombre. Elle nous a remarqués et s’approche malgré tout. Sa taille est imposante. Elle doit faire près de deux mètres. Elle est seule. Quel instinct suit-elle qui la pousse à venir si près de ses ennemis ? Il faut bien qu’elle soit stupide de penser qu’elle pourrait s’attaquer à quatre hommes armés. L’adrénaline fait battre mon pouls dans ma gorge. Je sais que je ne risque rien. Elle ne peut pas grimper contre la paroi lisse. Elle ne pourrait jamais sauter assez haut pour nous atteindre. Accoudés contre la balustrade, les uns contre les autres, nous maintenons nos fusils braqués sur elle. Elle fait trois pas de plus. J’ai beau sonder les environs, je n’en vois pas d’autres. Ma déception grandit. Je voudrais qu’il en vienne plus. Qu’elles lancent des cordes à l’assaut du Mur. Que la guerre commence ! Elle se contente de se mouvoir lentement dans notre direction. Lève la face vers nous. S’apprête à pousser un cri.
            — C’est toi le plus près ! Vas-y, dégomme-le ! me hurle Lau.
            — Mais tire, qu’est-ce que t’attends ? renchérit Syl.
            J’arme mon fusil, vise. J’ai sa tête en ligne de mire. Le cœur cognant dans mes tempes, je fais ce pour quoi je suis là. Galvanisé par les encouragements de mes compagnons, dans un état semi-conscient, j’appuie sur la détente.
            La balle qui la touche coupe son crâne en deux. Des morceaux de sa cervelle s’envolent et retombent sur le sol dans un bruit mat. Elle s’effondre en arrière. L’écho du coup de feu se prolonge un temps, puis s’éteint. Je suis un tueur de Bête.
            Les applaudissements de Lau, les cris de joie des deux autres me font retrouver mes esprits. Goût de métal dans la bouche. Je viens de tuer ma première Brute, mon premier ennemi. Je viens de tuer pour la première fois tout court. Tout fait sens. Mes années de formation, mon statut de militaire. N’empêche. Un soupçon de je ne sais quoi me retient de complètement me réjouir. Le peu de panache de la scène. Sa facilité. Quatre hommes armés en haut d’un mirador contre une Bête, une seule. Je suis fier, et déçu. Les batailles auxquelles je me destinais supposaient plus de bravoure.
            Syl me saisit aux épaules, me secoue. Son enthousiasme me réconforte.
            — Comment tu te sens ? Mar me demande.
            — Je sais pas trop. Surtout étonné, je crois. Je ne m’attendais pas à ça. À l’Académie, on nous a appris le combat rapproché, l’affût, la lutte au corps à corps…
            — Ouais, ben nous, on s’adapte. On pratique l’extermination préventive, me coupe Lau. Pas besoin de prendre des risques inutiles. On voit une Brute, on la bute, point barre. Ah, c’est sûr, si l’ennemi était humain, on appliquerait peut-être d’autres méthodes. Mais ami ou ennemi, il y a pas un être humain qui se soit pointé dans le coin depuis des années. Ils sont tous morts. Les Brutes les ont bouffés, ou leur ont transmis un virus mortel, j’en sais rien. Il n’y a que des Bêtes qui s’approchent. T’as vu comme celle-là se dirigeait droit sur nous ? Y a pas d’autres explications. Elles sont attirées par notre chair, notre sang.
            Je regarde le cadavre à quelques pieds en-dessous de moi. J’ai fait ce qu’il fallait. Même si elle n’avait aucune chance de nous atteindre, pourquoi tenter le diable, en effet ? Une morsure de cette chose tue à tous les coups. Peut-être peuvent-elles inoculer aux humains une horrible maladie à distance. Qu’est-ce qu’on en sait ?
            La vue de la masse crasseuse étalée dos contre terre me ragaillardit. Un nuisible en moins. Envers lequel je n’éprouve rien. Les Bêtes ne ressentent ni la peur ni la douleur, pourquoi ne pas me réjouir d’avoir fait mon devoir ? Le soldat en moi refait surface. Mes atermoiements se noient dans une vague de satisfaction. Devoir accompli.